Quoi de neuf ?

Enseignement des langues et literacies critiques : entretien avec Sunny Lau

Season 4 Episode 7

Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Sunny Lau, professeure titulaire à l'Université Bishop's.


Sunny Lau
 est professeure titulaire à la Faculté d'éducation de l'Université Bishop's et titulaire de la Chaire de recherche du Canada (Niveau 2) sur l’enseignement et l’apprentissage multilingues intégrés. Elle est également professeure affiliée à l'Université Simon Fraser et co-éditrice de la revue Critical Inquiry in Language Studies. Avant de rejoindre l'Université Bishop's, elle a travaillé comme instructrice pour les programmes de formation des enseignants à OISE/University of Toronto et pour la formation TESL au conseil scolaire catholique de York à Toronto.

Joey [00:00:03] Dans cet épisode, Emmanuelle Le Pichon, directrice du CREFO, rencontre Sunny Lau, professeure titulaire à l'Université Bishop's. 

Sunny [00:00:10] Je pense que c'est très important d'inviter toutes les ressources langagières et cultuelles des étudiants dans la classe pour un apprentissage de langue plus complexe. 

Joey [00:00:25] Bienvenue à Quoi de neuf? 

Emmanuelle [00:00:41] Bonjour tout le monde! Aujourd'hui, nous avons ou plutôt j'ai le grand honneur de recevoir la professeure Sunny Lau avec qui je travaille depuis maintenant plus d'un an, ce qui me fait une grande joie. Alors je vous la présente. Sunny, tu es professeure titulaire à la Faculté d'éducation de l'Université Bishop's et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'enseignement et l'apprentissage multilingues intégrés. Tu es également professeure affiliée à l'Université Simon Fraser et co-éditrice de la revue Critical Inquiry in Language Studies. Avant de rejoindre l'Université Bishop's, tu as travaillé comme instructrice pour les programmes de formation des enseignants à OISE, donc la faculté dans laquelle je travaille, moi, à l'Université de Toronto et pour la formation TESOL, c'est-à-dire l'enseignement de l'anglais langue seconde au Conseil scolaire catholique de York à Toronto. Tu as obtenu une licence ès lettres en linguistique et littérature, une maîtrise ès lettres en études littéraires de l'Université de Hong Kong, avant d'obtenir un diplôme d'études supérieures en éducation et une maîtrise ès sciences en sociologie de l'Université chinoise de Hong Kong. Tu as fait ton doctorat en éducation en langue seconde, la même année que moi, mais pas au même endroit puisque moi j'étais aux Pays-Bas. Tu l'as donc fait en 2010 à l'IEPO qui est l'équivalent de OISE, mais en français, à l'Université de Toronto sous la direction de notre ami commun, le professeur Jim Cummins. Alors si j'ai bien compris Sunny, et je crois que j'ai bien compris, ton travail sur la langue, il va de pair avec la découverte des cultures, des traditions, des croyances et tout ce qui y est associé. Donc c'est vraiment la mission que tu t'es donnée de renforcer l'enseignement et l'apprentissage multilingue et multiculturel dans les salles de classe du Canada. Alors bonjour Sunny! 

Sunny [00:02:44] Bonjour Emmanuelle. Merci pour l'introduction et merci pour l'invitation pour faire ce balado. 

Emmanuelle [00:02:52] Alors je suis très heureuse que nos auditeurs puissent te découvrir et découvrir ton travail par le biais de ce balado. Mais d'abord, je veux vraiment te remercier d'avoir accepté mon invitation parce que tu m'as dit plusieurs fois combien cette situation te mettait dans une grande insécurité linguistique, le fait de devoir t'entretenir avec moi en français. Alors tu sais que je suis avant tout amie des langues. Donc voilà, on peut passer d'une langue à l'autre, il n’y a pas de soucis. Mais je voulais te poser la question parce que l'insécurité linguistique ici au Canada, c'est un sujet qui me touche et sur lequel nous travaillons avec Joey, qui est avec nous aujourd'hui. Est-ce que c'est un aspect que tu prends en compte dans ton travail? Et si oui, comment? 

Sunny [00:03:46] Bien sûr. Je suis née à Hong Kong et j'ai grandi à Hong Kong, donc c'est une période quand Hong Kong était une colonie britannique. Donc j'ai reçu, mon éducation en anglais. Donc toujours, il y avait beaucoup des emphases sur le accuracy grammatical, donc toutes les fois, j'ai reflechi et reflechi dans ma tête si cette phrase est correcte avant de l'utiliser. Donc pour moi c'est une grande barrière d'apprendre la langue. Mais j'ai vécu ces expériences. Donc quand je suis devenue une enseignante, je voulais changer la méthode d'enseignement. Comment je pourrais motiver les étudiants à utiliser les langues peu importe les erreurs. 

Emmanuelle [00:04:48] Oui, rendre nos étudiants plus à l'aise pour qu'ils aient moins peur de se lancer. Et puis tu nous parles de cette double focalisation, cette focalisation sur la grammaticalité de ce qu'on dit et en même temps sur le contenu qui est vraiment difficile et nous met en insécurité. Alors tu nous as dit que tu es née à Hong Kong, tu as étudié à Hong Kong, est-ce que tu peux approfondir un peu sur ce parcours scientifique et comment ton propre parcours de vie a influencé ton parcours scientifique? 

Sunny [00:05:21] J'ai commencé à apprendre l'anglais depuis le Kindergarten et après j'ai suivi mes études à l'école secondaire anglophone. Donc c'est quand même un programme d'immersion d'anglais. Donc tous les contenus, toutes les matières étaient enseignées en anglais. L'accent est souvent mis sur le langage mais pas la connaissance. Donc pour moi, mon niveau d'anglais est très bien, mais il y a beaucoup de concepts que je ne connais pas. Mais je pouvais écrire et parler des concepts mais c'est toujours comme regurgitating ce qu'on lit dans les livres. Donc pour moi, c'est une grande influence pour moi quand je suis devenue une enseignante. Je me demande comment je pourrais soutenir les connaissances cognitives et aussi la maîtrise de la langue pour mes étudiants. 

Emmanuelle [00:06:44] C'est très intéressant. Tu parles de régurgiter la connaissance, c'est le même mot en français, le fait de devoir ressortir ce qu'on a appris par cœur sans forcément l'avoir compris profondément. C'est vraiment cette opposition de l'apprentissage de la langue par la quantité d'exposition opposée à la qualité de la compréhension de l'exposition... 

Sunny [00:07:15] Oui, c'est ça. 

Emmanuelle [00:07:16] ...qui correspond aussi à un passage dans ce qu'on sait, n'est-ce pas, sur l'apprentissage des langues. Alors ensemble, on a organisé une conférence qu'on a appelée Amie des langues et on avait invité des chercheurs comme toi ou comme Rahat Zaidi que j'ai déjà invitée ici, ou Margaret Early, ou Antoinette Gagné qui a elle aussi été invitée, mais aussi des enseignants et des administrateurs, à donner des interventions avec nous. Alors pourquoi tu as accepté de te lancer dans cette aventure, qui était un peu folle, avec moi et en quoi est-ce que ce concept résonne avec ta propre manière de penser ton travail et l'éducation? 

Sunny [00:08:01] Je pense que c'est très important d'inviter toutes les ressources langagières et culturelles des étudiants dans la classe pour un apprentissage de langue plus complexe et à un haut niveau. Donc pour moi les conférences de l'École amie des langues c'est fantastique pour moi. Et j'ai amené des étudiants enseignants aussi parce que je pensais que c'était une opportunité très enrichissante pour des enseignants, des étudiants enseignants pour expérimenter comment on fonctionne dans les conférences quand les étudiants, les conférenciers parlent n'importe quelle langue pour créer un environnement d'apprentissage plus inclusif. Donc c'est une conférence très enrichissante pour moi et pour les étudiants aussi. 

Emmanuelle [00:09:06] Oui, oui et je dois dire qu’on a, parce que le jour suivant, on a réfléchi ensemble sur ce qu'on avait appris et en fait on s'est aperçu que les enseignants qui étaient là avaient été beaucoup plus inclusifs que les chercheurs dans leur approche. 

Sunny [00:09:25] Oui, oui, c'est ça. Et là-bas, on connait l'importance de la collaboration horizontale. 

Emmanuelle [00:09:37] Oui, tu peux nous expliquer un peu mieux ça? Collaboration horizontale par rapport à verticale?

Sunny [00:09:46] Pour tous mes projets de recherche, je travaille avec des enseignants. Je pense que c'est au cours de mes expériences comme enseignante moi-même peut-être parce que je pense, il y a beaucoup, beaucoup d'expertise dans la salle de classe et elle n'est pas valorisée par les chercheurs de l'université. Donc quand je deviens un chercheur moi-même, je pense que c'est important d'inclure les expertises des enseignants parce qu'il y a des connaissances avec leurs enseignants, des connaissances, des informations contextuelles que les chercheurs de l'université ne connaissent pas vraiment. Donc, c'est important de collaborer avec des enseignants pour une connaissance plus approfondie. 

Emmanuelle [00:10:47] Oui, c'est vrai. Alors ça se rapproche beaucoup de ce que dit le professeur Jim Cummins quand il parle des enseignants comme Knowlege Generators. Donc des créateurs de connaissance. 

Sunny [00:11:02] Oui, oui. Et on contribue des expertises variables sur le projet. Donc c'est très important que... Parce qu'il y a différentes responsabilités et aussi priorités, mais quand même, on contribue notre expertise. Donc c'est important de mettre ensemble toutes les expertises pour avancer l'agenda de soutenir les étudiants. 

Emmanuelle [00:11:44] Oui, donc une expertise partagée et tu nous parles aussi d'une absence de hiérarchie. Tout ça c'est des concepts qu'on essaye de partager dans la recherche qu'on fait ensemble. Merci. Tu parles aussi de cette information contextuelle qui n'est pas valorisée, de ces expériences des élèves rapportés par les enseignants qui ne sont pas valorisés par l'université. Est-ce que c'est quelque chose que tu as vécu toi-même en passant d'un contexte à un autre?  

Sunny [00:12:14] Par exemple, quand j'ai fait les protocoles d'éthique, c'est toujours un peu difficile pour convaincre les comités, pour accepter ce type de méthodologie de recherche, parce qu'il y a des bias sur ce type et ce n'est pas souvent considéré comme une recherche scientifique. Donc j'ai participé comme membre du comité d'éthique dans mon université pour changer les idées, parce que la recherche-action collaborative ou participative a un rôle important sur les recherches éducatives. Donc oui, il y a beaucoup de questions, mais il y a beaucoup d'éducation aussi que je fais dans le comité. 

Emmanuelle [00:13:23] Oui, c'est quelque chose que j'essaye de comprendre moi aussi, ce malentendu, on dirait, entre la communauté scolaire et la communauté scientifique sur ce que signifie le mot recherche. Est-ce que tu peux expliquer un petit peu mieux comment ça se passe la recherche-action participative? 

Sunny [00:13:46] Pour moi, la recherche-action participative ce n'est pas seulement une méthodologie, mais aussi une épistémologie, parce que c'est une croyance de comment on connait ce que l'on sait. Donc pour moi, la connaissance est toujours ancrée dans le terrain, ce n'est pas possible de séparer les connaissances et les personnes. Donc c'est très important de développer les connaissances souterraines. Donc c'est essentiel de collaborer avec des enseignants parce que ce n'est pas une théorie qu'on développe dans l'université et après on applique la théorie sur le terrain. Mais c'est toujours ensemble on développe, on avance des théories dans le terrain. 

Emmanuelle [00:14:45] C'est absolument passionnant. Alors imagine moi je suis prof, enseignante et je veux participer à ta recherche. Est-ce que ça veut dire que tous mes moments libres, je vais les passer avec toi? Est-ce que tu peux m'expliquer ce que ça veut dire? J'ai ma classe, je veux travailler avec toi. Je suis dans une école. Qu'est-ce qui va se passer? 

Sunny [00:15:06] Pour ma part, comme chercheure, je dois trouver des moyens pour faciliter la participation des enseignants. Donc, tous mes financements pour la recherche sont toujours pour le remplacement des enseignants. Donc, il y a du temps et de l'espace pour les enseignants, pour travailler ensemble, pour discuter les questions, pour planifier le projet parce qu'il est important que les questions de recherche soient des enseignants. Ce n'est pas des questions imposées sur les enseignants. 

Emmanuelle [00:15:54] C'est vrai, on sait que ce sont les questions de recherche qui déterminent la recherche. Dans l'École amie des langues, on fait ça aussi. On demande aux écoles qu'est-ce que vous, quel est votre problème, qu'est-ce que vous, vous voulez faire comme recherche? Oui, c'est très important. Merci. Est-ce que tu peux préciser ce que le concept d'enseignement et d'apprentissage plurilingue intégré signifie pour toi et l'importance de ce concept dans le paysage éducatif du Québec en particulier? 

Sunny [00:16:30] Pour moi, le thème éducation plurilingue, parce que je me suis posé beaucoup des questions par des enseignants et d'autres personnes parce que le thème suggère que l'éducation est sur les différents langues. Mais ça l'est pas vraiment. C'est une part de ça, mais il y a aussi comment enseigner une langue en relation avec d'autres langues. Donc c'est pas vraiment l'apprentissage ou l'enseignement des langues per se, mais aussi comment on utilise la langue dans l'enseignement d'autres matières. Donc parce qu'il y a des stratégies langagières pour la lecture et l'écriture qui sont transférables à travers le curriculum. Donc j'utilise le mot intégré pour mettre l'accent sur ça. Je voudrais ajouter un peu... Dans le contexte de Québec en particulier, parce qu'il y a, je pense, il y a toujours la résistance d'inclure d'autres langues, en particulier les langues des immigrants et les langues de la communauté autochtone. Donc, c'est important de préciser que le thème d'éducation plurilingue intégrée se réfère pas seulement aux différentes langues, mais aussi comment on utilise des langues différentes pour soutenir des étudiants de différentes communautés pour leur apprentissage de différentes disciplines. 

Emmanuelle [00:18:33] C'est passionnant. Donc c'est là qu'intervient la dimension inclusive de ton travail. 

Sunny [00:18:38] Oui, oui, c'est ça. 

Emmanuelle [00:18:39] Très intéressant. Alors je voudrais maintenant me focaliser un petit peu sur ce que tu appelles apprentissage critique de la lecture et de l'écriture dans la recherche et l'enseignement. C'est un sujet très important ici en Ontario et j'imagine aussi au Québec. Est-ce que tu veux nous en parler un petit peu? 

Sunny [00:18:59] Oui, bien sûr. Je me suis très intéressée aux littératies critiques et je pense que, à cause de mon background sur l'éducation en anglais à Hong Kong comme une colonie britannique parce qu'il y a des discours que je dois maîtriser la langue. Si on peut parler en anglais plus fluidement, c'est considéré comme on a une éducation plus qualifiée, mais c'est pas ça. On pourrait lire un texte en anglais, mais c'est pas comme on comprend bien. L'approche c’est toujours de mémoriser les textes, mémoriser les réponses, elle est pas vraiment de interroger le texte. Donc la littératie critique, c'est-à-dire on favorise le regard au-delà du sens littéral du texte pour déterminer l'intention de l'auteur. On interroge comment l'auteur construit le message ou la position sociale pour les lecteurs, comment certains enjeux sont présentés ou cachés afin de constituer une vision du monde. Donc l'idée, c'est engager des étudiants à analyser et évaluer le sens complet du texte pour développer sa connaissance du monde. 

Emmanuelle [00:20:38] C'est vraiment passionnant. Et je pense aussi qu'on voit rejaillir tes études de littérature, n'est-ce pas? Je me trompe? Ton amour du texte, ton amour de probablement des auteurs aussi. 

Sunny [00:20:54] Oui, bien sûr, oui. Dans mes projets de recherche on utilise les littératures de jeunesse beaucoup parce qu'elles fournissent une bonne base pour ancrer des enquêtes critiques sur les enjeux éco-sociaux. 

Emmanuelle [00:21:13] Des ancrages critiques sur les enjeux éco-sociaux, c'est très intéressant. En même temps, ça demande une expertise de la part de l'enseignant à laquelle il n'a pas forcément été formé. C'est vraiment... tu vas très loin et je peux imaginer que ça puisse faire peur à un enseignant lambda. Donc quelle stratégie est-ce que tu recommandes aux enseignants pour intégrer efficacement ces ressources que tu proposes et surtout ces perspectives critiques ou bien peut-être multiculturelles dans leur classe multi ou inter? On ne sait pas très bien dans ton travail, on passe de l'un à l'autre je crois. 

Sunny [00:21:59] Pour moi ça commence à la formation initiale. Donc j'ai inclus dans mon programme un cours qui s'appelle Teacher and Language Teaching où j'enseigne comment on pourrait intégrer l'utilisation de littératures pour la promotion de la littératie critique. Et pour moi, la recherche-action collaborative, c'est une forme de formation aussi, de formation continue. Donc quand les étudiants enseignants finissent le programme initial, ce n'est pas terminé, je pense que c'est juste le commencement leur carrière. Donc pour moi, c'est très important d'inclure des étudiants enseignants dans les projets de recherche pour une forme de formation continue. Donc on travaille ensemble, on regarde des littératures ensemble et on dessine le plan de cours ensemble. Et justement, je travaille avec des chercheurs en Norvège. On a créé un cadre institutionnel, le grade consiste en quatre dimensions: la dimension personnelle, la dimension critique, la dimension textuelle et multimodale, et finalement la dimension créative et transformative. Donc les quatre dimensions sont interdépendantes. Ce n'est pas séparé. Mais toujours pour les enseignants le focus est mis sur le textuel. Donc on enseigne la structure grammaticale, la syntaxe, mais rarement on interroge pourquoi on utilise ces structures et pourquoi on utilise ce style d'écriture. Toujours il y a le but social, donc les quatre dimensions évoquent des efforts pour mettre ensemble les critiques aussi, on se demande pourquoi l'auteur utilise le symbole visuel ou le symbole littéral, quelle vision du monde a-t-il évoqué dans le livre et comment on pourrait réagir sur les enjeux qui sont discutés dans le texte. 

Emmanuelle [00:24:46] Je trouve ça passionnant. Tu viens de nous parler, après les avoir évoquées, de la dimension personnelle, critique, textuelle et multimodale, mais parle nous de la dimension créative et transformative. Qu'est-ce qui se passe? 

Sunny [00:24:59] Par exemple, on voudrait que les enseignants amènent les étudiants pour faire une réponse envers les enjeux discutés dans le texte, pas seulement pour, par exemple, dans un projet de recherche que j'ai fait récemment après avoir lu des livres sur le sujet de la protection environnementale, parce que c'est la collaboration entre les enseignants anglais langue seconde avec des enseignants de français. Donc les deux enseignants encourageaient les étudiants à faire un poème bilingue sur les planètes et les enseignants de français, invite aussi une artiste murale qui vient de la communauté qui vient dans l'école pour donner un atelier. Comment il fait le mural, mural artist

Emmanuelle [00:26:02] Ah! Une artiste murale! Oui, oui, une œuvre murale. 

Sunny [00:26:05] Oui, une artiste murale. Donc les étudiants ont émulé une murale aussi.  

Emmanuelle [00:26:13] Oui, ont développé une œuvre murale. 

Sunny [00:26:17] Non, un petit, un petit... individuel. Mais c'est à combiner avec un poème bilingue. Comment ils pourraient faire leur part pour la protection environnementale. 

Emmanuelle [00:26:32] J'aime beaucoup. C'est quelque chose que j'ai vu dans un lycée que j'ai visité au Maroc, notamment parce qu'au Maroc, il y a des enjeux linguistiques forts où les élèves, justement dans la cour de l'école, avaient été incités à revisiter le paysage de la cour et donc à inclure des phrases dans les différentes langues dans un mural qui avait été dessiné. 

Sunny [00:26:54] Wow! 

Emmanuelle [00:26:55] Ouais, c'est beau! Donc merci de nous avoir expliqué ces quatre dimensions. Je pense que ça va beaucoup apporter à nos auditeurs. Est-ce que tu utilises beaucoup la technologie dans ton travail? Est-ce que tu penses qu'elle peut améliorer l'apprentissage des langues et de la compétence interculturelle telle que tu en parles? 

Sunny [00:27:15] Bien sûr. Je pense que les enseignants utilisent beaucoup les technologies dans leur classe. Je pense plus que moi. Donc, dans les quatre dimensions, on encourage la dimension textuelle et multimodale parce que c'est un moyen indispensable aujourd'hui pour communiquer. Donc oui, c'est très important. 

Emmanuelle [00:27:47] Oui, je reconnais ça, et en particulier aussi une manière de pouvoir avoir accès, par exemple, à des moteurs de traduction, à des connaissances sur les pays en question et ce genre de choses, non? 

Sunny [00:28:01] Oui, oui, bien sûr. Pour moi, l'important est la promotion de la conscience métalinguistique et multimodale parce qu'il y a des affordances et aussi des contraintes quand on utilise un mode de communication. Donc on doit connaître comment on utilise différents modes de communication pour des buts variés. 

Emmanuelle [00:28:32] Tout à fait, affordances et contraintes en fonction des modes de communication. Et c'est indispensable aussi bien pour les enseignants que pour les étudiants donc d'en connaître les règles. Une de mes étudiantes disait « donner accès à la technologie aux étudiants sans leur expliquer comment s'en servir, c'est comme donner une Porsche à des enfants sans leur faire passer leur permis de conduire ». Est-ce que tu pourrais partager avec nous un ou deux exemples de réussite ou de la manière dont tes méthodes ont eu un impact sur le développement linguistique et la compréhension culturelle de tes élèves? Par exemple, des anecdotes.

Sunny [00:29:17] J'ai travaillé avec deux enseignantes d'une école primaire anglophone il y a, je pense, dix ans. C'est un projet qui a duré quatre ans. Donc c'est mon premier projet au Québec pour mettre ensemble des enseignants anglais et aussi enseigner en français langue seconde. Donc, c'était ma première expérience de faire la pédagogie  translangagière. Les deux enseignantes étaient très passionnées par les littératies  critiques. Donc on a utilisé un thème par année. Donc les thèmes, c'est toujours sur la justice sociale ou d'autres thèmes sur les enjeux sociaux. Donc il y a une année, le thème était le droit des enfants, Childrens' Rights. Donc on lisait les 43 droits des enfants en français et en anglais. Tout d'abord, on a commencé le programme en invitant deux speakers des secteurs francophone et anglophone. Il y a un instructeur et ses anciens collégiens qui sont venus dans l'école pour expliquer son travail avec des Child Soldiers en Uganda. Et après on a invité des étudiants de l'université qui ont partagé un projet de communauté qui donne des cours en anglais langue seconde à [...]. Donc les élèves ont entendu les histoires des bénévoles dans différents contextes. Comment on travaille avec des enfants réfugiés et aussi des personnes déplacées. Et après on a lu des livres sur les mêmes sujets mais en français et en anglais. Pas le même livre mais sur le même thème. Donc parce que les élèves sont plus forts en anglais, on a introduit les concepts plus simples dans le cours de français. Par exemple, la première activité c'était sur la différenciation de Needs and Wants. Donc les élèves ont discuté comment est un besoin, comment est-ce qu'ils désirent et après dans le cours d'anglais, on a discuté de scénarios actuels, différents scénarios quotidiens par rapport à la vie quand il y a des droits qui manquent ou qui sont ratés. Donc les élèves discutent pourquoi c'est pas juste, ou pourquoi, c'est juste. Donc on a détaillé les concepts de plus en plus entre les deux langues. Donc à la fin de l'année, les étudiants ont produit l'abécédaire et les étudiants ont travaillé en couple pour une lettre et les élèves ont pris des photos pour exprimer la lettre. Par exemple, E c'est pour l'éducation, ou S c'est pour Skin Color. Donc les élèves ont écrit un paragraphe, comment ils pensent sur cette lettre, sur ce mot et comment ils sont en relation avec les droits des enfants. 

Emmanuelle [00:33:29] C'est passionnant, c'est absolument passionnant. Tu as dû beaucoup apprendre toi-même de cette expérience. 

Sunny [00:33:36] Beaucoup, parce que pour moi, c'est la première fois que je lis sur le Droit des enfants aussi et pour les enfants, ils étaient très très enthousiastes parce qu'il y a eu beaucoup de discussions avec leurs parents avec ça et aussi le two sides of the coin, le droit et les responsabilités. Donc c'est très pertinent. 

Emmanuelle [00:34:04] Oui. Et on voit ici, dans ce que tu nous as raconté, les quatre dimensions dont tu nous as parlées. La dimension personnelle avec le retour vers les parents, attends, je les reprends. La dimension critique qui est de se poser la question, par exemple, entre besoins et désirs, mais aussi droit. Et puis la dimension textuelle et multimodale. Et enfin créative et transformative avec les discussions qui ont eu lieu et les textes qu'ils ont produits, cet abécédaire dont tu nous parles. C'est absolument passionnant et j'aime énormément. Je vais moi-même certainement reprendre ça dans mon travail. 

Sunny [00:34:40] Il y avait un étudiant qui dit avant ça qu'il avait beaucoup de peur d'écrire en français. Mais maintenant il aime l'écriture parce qu'il a des choses pour l'écrit. 

Emmanuelle [00:34:53] Il a des choses à dire, ça c'est vrai. C'est très beau de découvrir qu'on a des choses à dire dans la langue qu'on est en train d'apprendre. C'est très beau. Alors on vient d'avoir cette conversation en français et j'allais te demander quelle est la place de la francophonie dans ta vie et qu'est-ce que ça signifie pour toi être francophone? 

Sunny [00:35:15] Pour moi, j'ai commencé à apprendre le français à l'université. Pour moi, ma relation avec l'anglais, c'est toujours un peu difficile. Pour moi, c'est une langue imposée sur moi parce qu’il y a beaucoup la pression de maîtriser la langue, l'anglais et c'est pour ma carrière, c'est pour mes études. Mais pour moi, le français, c'est moi qui aie découvert cette langue. J'aime beaucoup la langue et après mes études à l'université, j'ai continué mes études à l'Alliance française à Hong Kong. Mais à cause de mon travail, j'ai arrêté mais j'ai recommencé, mais toujours au niveau intermédiaire. Mais quand j'ai déménagé au Québec, ma relation est différente. J'ai vécu des expériences pas souvent agréables parce que quand j'ai essayé ici, c'est la langue. Par exemple, dans le magasin, une fois j'ai demandé une question à la vendeuse, mais elle s'est adressée à mon mari qui est blanc. Et pas à moi. Donc je pense que c'est comme un love not returned

Emmanuelle [00:36:48] Un amour sans retour. C'est triste ce que tu dis. Nous, on va te donner beaucoup d'amour du CREFO. 

Sunny [00:37:00] Je fais beaucoup, beaucoup d'erreurs. Mais, je pense que tu comprends ce que je dis. 

Emmanuelle [00:37:08] Tout à fait, tout à fait. C'est tellement important. Et c'est la première fois qu'on me dit ça. Je pense que c'est quelque chose qu'il faut qu'on creuse, auquel on doit réfléchir à cet amour sans retour. C'est un très beau concept. Maintenant, on a l'habitude dans ce podcast de demander à nos interlocuteurs, j'ai l'habitude de demander à mes interlocuteurs quelles sont les personnes qui les ont marqués dans leur vie. Ou même alors ça peut être des personnes dans ton entourage familial ou affectif, ou bien des chercheurs, ou bien les deux. Peut-être tu veux nous parler de quelqu'un en particulier? 

Sunny [00:37:42] Oh oui, bien sûr. Ma famille, mon mari et mon enfant. Mais pour ma carrière, c'est toujours les enseignants qui m'ont donné un bon exemple. Comment on pourrait une enseignante. C'est toujours la relation affective entre les enseignants et les étudiants. 

Emmanuelle [00:38:12] C'est joli parce qu'en fait tu nous as parlé beaucoup du contenu, c'est-à-dire ce qu'on associe avec la tête, les connaissances, etc. Mais en fait tu nous dis c'est indissociable du cœur...

Sunny [00:38:26] Oui, c'est ça. 

Emmanuelle [00:38:28] ...la manière dont on aime, dont on croit, dont on construit une relation... l'idéologie aussi. C'est très joli cette relation esprit-cœur. Et puis finalement pratique. 

Sunny [00:38:40] Oui, oui, c'est ça. Donc pour la littératie critique, la dimension passionnelle, c'est pour ça. C'est surtout pour la réflexion, les connexions émotionnelles avec des enjeux. 

Emmanuelle [00:38:54] Alors si on devait lire un ou deux de tes articles ou même de tes livres pour mieux comprendre ton travail, qu'est-ce que tu voudrais qu'on lise? 

Sunny [00:39:01] J'ai travaillé avec des enseignants que j'ai mentionnés sur le projet sur le Droit des enfants et c'est mon article de 2017. J'ai oublié le titre. Mais c'est 2017. 

Emmanuelle [00:39:26] Ok, l'article de 2017 sur les droits de l'enfant et ton travail collaboratif avec les enseignants. 

Sunny [00:39:31] Oui. Mais j'ai publié un autre article en 2020, c'est sur le même projet, mais cette fois-là, j'ai décrit le projet dans la troisième année quand les élèves ont fait un art. 

Emmanuelle [00:39:50] Oh oui! 

Sunny [00:39:53] Même peinture, une peinture.  

Emmanuelle [00:39:54] D'accord. Et l'aspect créatif en fait, transformateur et créatif. 

Sunny [00:39:59] Oui, oui, oui. 

Emmanuelle [00:40:00] La quatrième dimension. Tu vois, j'ai bien retenu tout ce que tu m'as appris.  L'aspect critique, l'aspect créatif. D'accord, on les mettra sur le site du CREFO pour que nos éditeurs puissent ensuite avoir accès à ces articles. Et puis enfin, je voudrais terminer en te posant la question de savoir si tu pouvais rêver à un système éducatif idéal, à quoi est-ce qu'il ressemblerait? 

Sunny [00:40:29] C'est une grande question! Je ne pense pas qu'il y en ait un idéal et une forme idéale. On pourrait travailler ensemble. Tous les enseignants, les chercheurs et aussi les étudiants ensemble pour créer un environnement inclusif ensemble, c'est-à-dire dans les différents contextes, sous forme d'environnements inclusifs pour échanger. Mais c'est important que c'est construit par des enseignants et des étudiants ensemble. 

Emmanuelle [00:41:04] J'aime ça. Et en fait, ça reflète assez bien ce que tu as essayé de nous dire aujourd'hui, c'est-à-dire cette dimension communautaire du travail, et puis le fait que finalement tout est à construire et je pense que c'est plein d'espérance aussi pour l'avenir, pour les enseignants qui sont dans nos cours. C'est un message magnifique parce que tu leur dis en fait, vous pouvez changer le monde si vous vous mettez ensemble, ce qui est très joli. Merci Sunny de nous avoir parlé de beaucoup, beaucoup de choses aujourd'hui. Tu nous as parlé de littératie critique, mais pas seulement. Tu nous as parlé d'émotions, de création, de transformation, de justice sociale, d'enjeux sociaux, de droits même. Tu as même évoqué la question de la couleur de peau, du racisme de manière personnelle, mais aussi de manière professionnelle. Et bien sûr, tu nous as parlé d'éducation, d'éducation mais aussi d'enthousiasme. Et je pense que tout ce que tu nous as dit vraiment reflète à la fois ton enthousiasme et ton engagement pour cette cause à laquelle tu crois. Alors merci beaucoup et j'espère que... je suis sûre que nos auditeurs ont eu autant de plaisir à t'écouter que moi j'en ai eu à discuter avec toi. Alors à bientôt Sunny, merci! 

Sunny [00:42:26] Merci beaucoup, merci! À bientôt! 

Joey [00:42:29] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca