Quoi de neuf ?

La francophonie en Louisiane : Entretien avec Scott Tilton

Les cafés du CREFO Season 5 Episode 6

Dans cet épisode, Amal Madibbo, membre du CREFO, rencontre Scott Tilton, co-fondateur et co-directeur de la Fondation Nous en Nouvelle-Orléans.

M. Scott Tilton est le co-fondateur et co-directeur de la Fondation Nous, une plateforme d'échange entre la Louisiane et le monde francophone. Il a vécu quelques années à Paris où il travaillait en tant que consultant chez Ernst & Young France sur des projets pour l'Union européenne, l'ONU et le gouvernement français. Pendant son séjour à Paris, Scott a lancé et dirigé une initiative qui a vu la Louisiane devenir le premier État américain à rejoindre l'Organisation internationale de la Francophonie (La Francophonie). Diplômé de l'Université de Virginie, Scott est également titulaire d'une maîtrise en relations internationales de Sciences Po Paris.

À travers la Fondation Nous, M. Scott Tilton a co-produit Les voix du renouveau (Voices of Renewal), un projet vidéo qui se concentre sur la manière dont le mouvement de revitalisation du créole louisianais fait face à la crise de l'érosion du littoral en Louisiane.

M. Scott Tilton dans les médias

Une rencontre avec les fondateurs de la Nous Foundation : https://www.artsper.com/fr/selections-experts/9406/meet-the-founders-of-nous-foundation

Revitalisation des langues en Louisiane grâce à l'engagement de la société civile : https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/pour-faire-un-monde/segments/entrevue/436581/scott-tilton-rudy-bazenet-francophonie-louisiane

Expanding Our Roots Global Conversation with 821: Scott Tilton

https://www.the821project.com/single-post/expanding-our-roots-scott-tilton

Joey [00:00:00] Dans cet épisode, Amal Madibbo, membre du CREFO, rencontre Scott Tilton, co-fondateur et co-directeur de la fondation Nous à la Nouvelle Orléans. 

Scott [00:00:09] Souvent aux Etats-Unis, on parle de la fin des cultures francophones en Louisiane, comme si ça a fini en 1803 avec la vente de la Louisiane. Mais en réalité, ces cultures francophones et créolophones se sont développées. C'était vraiment les langues parlées dans la rue, dans le commerce, dans la communauté, tout au long du XIXᵉ siècle, début XXᵉ siècle. 

Joey [00:00:30] Bienvenue à Quoi de neuf? 

Amal [00:00:46] Bonjour tout le monde, partout dans le monde. Ici Amal Madibbo à OISE, l'Université de Toronto. Et bienvenue donc au podcast du CREFO. Aujourd'hui, nous avons le grand plaisir d'accueillir Monsieur Scott Tilton, qui est le co-fondateur et co-directeur de la Fondation Nous qui se trouve à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, aux États-Unis. La Fondation Nous est une plateforme d'échanges entre la Louisiane et le monde francophone. Monsieur Tilton est diplômé de l'université de Virginie, donc aux États-Unis en sciences politiques, et il est également titulaire d'une maîtrise en relations internationales de Sciences-Po Paris. Il a vécu quelques années à Paris. Et puis il est de retour. Il était de retour en Louisiane. Monsieur Scott Tilton, merci beaucoup de me joindre au podcast du CREFO. On aimerait vous souhaiter la bienvenue. 

Scott [00:01:52] Bonjour, merci beaucoup. Merci pour cette invitation. 

Amal [00:01:55] Oui, ça fait vraiment plaisir. Donc je viens de vous présenter brièvement. Est-ce que vous aimeriez ajouter des aspects que je n'ai pas mentionnés au sujet de votre trajectoire de vie? 

Scott [00:02:09] Oui. Donc je suis issu de la Louisiane, de la Nouvelle-Orléans. J'ai grandi ici près de l'ouragan Katrina qui a frappé la ville en 2005, ma famille a déménagé dans le quartier français de la Nouvelle-Orléans, c'est vraiment le cœur battant de cette ville,  toute la belle culture de cette ville avec le jazz et aussi entouré un peu par le chaos de Bourbon Street. Mais j'ai grandi dans cette ville. Je pense qu'un moment vraiment charnière dans ma vie, c'était l'ouragan Katrina en 2005. C'est après ce moment, cet ouragan qui a vraiment dévaster cette ville... mais après ce moment, en 2005, j'ai eu l'opportunité, via mon père dont sa famille est en partie francophone, via mes voisins qui parlaient aussi le créole louisianais, de vraiment grandir dans un monde où il y avait plusieurs langues autour de moi. Et c'est plus tard quand je suis allé à l'Université de Virgine que je me suis rendu compte, à quel point c'était exceptionnel d'être au sein des États-Unis entouré par ces communautés francophones. Et même s'il n'y a pas en Louisiane tout le monde qui parle français bien sûr, parce que c'est vraiment après 100 ans de déclin malheureusement, en Louisiane, on garde cet attachement à la langue française et à la langue créole qui reste encore. Et j'ai vraiment la chance d'avoir eu cette connexion assez tôt dans ma vie. Directement après l'Université de Virginie, je suis allée à Sciences Po, j'ai vécu quelques années à Paris et c'est là où j'ai rencontré mon mari. Donc, c'est toute ma vie qui est bâtie sur la langue, sur la fondation et voilà. 

Amal [00:03:45] Et donc oui, Katrina, en fait frappe les gens ou a touché les gens, les gens au-delà des États-Unis même. Moi personnellement, ça me frappe toujours quand j'y pense. Et donc, comme vous connaissez la francophonie en Louisiane très bien, parlez-nous de la francophonie en Louisiane s'il vous plaît, pour nous donner un portrait global. 

Scott [00:04:11] Quand on parle des communautés francophones et créolophones en Louisiane, c'est un véritable kaléidoscope de communautés qui sont venues du monde entier. Donc, il y a deux manières de positionner la Louisiane. On peut parler de la Louisiane comme un État du sud des États-Unis, c'est aussi le pointer comme la zone la plus noble des Caraïbes. Et les communautés francophones qui se sont retrouvées en Louisiane sont issues de ces canaux d'immigration très divers. Donc les trois communautés principales dont on parle, il y a des créoles et peut-être juste pour expliquer, « créole » à la base c'est un terme qu'on utilise pour dire que c'est quelqu'un qui est né dans les colonies européennes, à l'époque dans les Amériques. Donc ça veut dire issu d'ici, issu d'un territoire sur le sol américain, continent de tous les Amériques. Et la Louisiane, les gens qui sont venus en Louisiane, donc il y a les Afro descendants qui sont venus via le système d'esclavage à la base, mais il y a aussi un canal d'immigration via l'Europe. Il y avait une sorte de métissage, un certain mélange de ces cultures françaises, africaines, aussi avec une forte influence des Caraïbes. Et les gens ont commencé à parler de cette culture comme créole. Et c'est important de dire que ce créole, c'est une culture. Il y a beaucoup, beaucoup de gens en Louisiane, afrodescendants, qui utilisent le mot créole comme identité. Il y a aussi des gens européens, des ancêtres européens. Donc c'est important de dire que c'est une vaste culture en Louisiane et ce qu'on voit de la culture créole de nos jours, c'est un peu le jazz, c'est l'architecture, c'est la cuisine, c'est le Mardi-Gras. Beaucoup de symboles de la culture louisianaise de notre époque sont issus de ce métissage des cultures tellement différentes et qui ont crée une culture vraiment visible sur la Louisiane. Il y a aussi des communautés acadiennes, des Cadiens, les Cajuns comme on dit en anglais, mais le terme correct, c'est vraiment cadien. Ce sont des communautés qui sont venues... à la base, ce sont des colons français qui se sont retrouvés au Canada et qui sont dans les provinces maritimes, qui ont crée des communautés pendant l'ère coloniale, donc on parle un peu de 17ᵉ -18ᵉ siècle. Et ces communautés, lors d'une guerre entre le Royaume-Uni et la France qui s'est terminée en 1763, ils ont refusé de donner le loyalty à la couronne britannique. Donc ils ont été expulsés, ils sont allés en France, ils sont allés dans les Caraïbes et pour plusieurs raisons, ils se sont retrouvés, ils ont créé... Il y avait un groupe qui sont arrivés en Louisiane et après il y avait la réunification de leur famille en Louisiane. On leur a donné des terrains dans le sud ouest de l'État vers la ville de Lafayette. Donc, c'est vraiment un épicentre de la culture cajun en Louisiane, c'est vraiment la ville de Lafayette. Il y a aussi un troisième groupe qui sont autochtones. Donc ça c'est important à dire, parce qu'il y a plusieurs groupes autochtones en Louisiane de notre époque qui sont francophones. Et ces communautés se retrouvent souvent vers les zones littorales de l'État, vers la côte. Ils étaient juste à côté des communautés créoles et cajuns. On arrive à voir vraiment... c'est assez incroyable en Louisiane, c'est le mélange de communautés différentes et de communautés qui sont vraiment du monde entier, qui se sont retrouvées dans notre petite botte qui est la Louisiane. Et ce qui est assez important, juste pour le contexte historique, souvent aux États-Unis on parle de la fin des cultures francophones en Louisiane, comme si ça a fini en 1803 avec la vente de la Louisiane. Mais en réalité, ces cultures francophones et créolophones se sont développées. C'était vraiment les langues parlées dans la rue, dans le commerce, dans la politique, tout au long du XIXᵉ siècle, début XXᵉ siècle. Et ça, c'est tellement intéressant et important parce que beaucoup, beaucoup de la fondation culturelle de cet État et de cette région est basé sur la présence et sur les aspects des cultures francophones. Et malheureusement, c'est dans le XXᵉ siècle, quand il y avait le système de ségrégation raciale qui s'appelait Jim Crow, qu'il y avait aussi une interdiction de la langue française et aussi au passage du créole dans les espaces publics. Et donc malheureusement, ça a bloqué la transmission. Donc on peut imaginer un peu... et c'est dommage parce qu'il y a tellement de diversité, beaucoup de gens en Louisiane ont un lien avec ces cultures francophoness, sont issus de familles qui ont un fort attachement à ces cultures et malheureusement avec les nouvelles générations, il y a moins de connexion avec ces communautés. 

Amal [00:09:20] Oui, merci beaucoup de cet aperçu socio-historique très intéressant et très informatif. En fait oui, comme vous le dites, le créole signifie plusieurs choses dans plusieurs endroits à travers le monde. Au niveau du créole comme langue, il y a un créole arabe ou à base arabe. Les gens n'en parlent pas beaucoup, mais ça existe. Mais ça, c'est une autre question, un autre sujet. Et donc par rapport à cet aperçu, donc très important et intéressant de la francophonie en Louisiane que vous avez partagé avec nous, donc la Fondation Nous sert à promouvoir cette Francophonie. Et donc pour ça, parlez nous, s'il vous plaît de la fondation Nous dont vous êtes co-fondateur et codirecteur. 

Scott [00:10:19] Exactement. Donc, j'ai cofondé la fondation avec Rudy Bazenet. On s'est rencontrés en France en 2016. Et à ce moment-là, j'étais à Sciences-Po. J'ai assisté au Forum économique de la Francophonie à l'époque qui était situé à Paris à ce moment-là. Et ça m'intéressait un peu plus que cette organisation, l'Organisation internationale de la Francophonie, et je peux parler un peu plus en détail de cette organisation, mais c'est ce moment là, quand j'ai rencontré Rudy, j'ai participé au forum, il y avait une sorte de coalescence. En fait, moi j'ai grandi dans cette culture en Louisiane, au moins en partie francophone, très francophile et je me suis rendu compte en fait qu'il y avait pas vraiment un statut pour protéger ces communautés minoritaires francophones. Et donc via la francophonie, ça m'intéressait parce qu'au Canada, par exemple, au sein de cette grande organisation, cette organisation internationale avec 88 membres, à l'époque, il y avait des statuts différents pour les provinces canadiennes. Donc, par exemple, le Québec est un membre à part entière. Il y avait le Nouveau-Brunswick. Et je me suis posé les questions quels sont les avantages de faire partie de l'OIF, ça c'est l'acronyme pour l'Organisation internationale de la Francophonie, quels sont des avantages, est-ce que c'est possible, au sein d'un système comme les États-Unis fédéralistes, que la Louisiane fasse partie de cette organisation. Donc c'est là d'où vient un peu l'idée de la fondation Nous en fait, parce que j'ai lancé et piloté, avec Rudy Bazenet, une initiative qui a fait adhérer la Louisiane comme membre observateur de la Francophonie en 2018. Et ça a pris deux ans et demi. Il fallait travailler avec le Département d'État américain. Il fallait travailler avec le gouverneur de la Louisiane, le Codofil, le Conseil pour le développement du français en Louisiane et plein d'autres organisations. Et on a vraiment assuré ce rôle de coordonner parmi tous ces acteurs différents et heureusement même, c'était très difficile parce qu'il fallait avoir tous les membres déjà existants au sein de l'OIF voter pour la Louisiane et avoir l'autorisation du gouvernement fédéral. Mais heureusement, en 2018, on a réussi cet objectif et ce qui a donné lieu à cet adjectif, on voulait pas que la Louisiane fasse juste partie de l'OIF et que ça s'arrête là. On voulait aussi inspirer et un peu coordonner parmi les acteurs de la société civile en Louisiane pour créer quelque chose encore plus grand et vraiment quelque chose qui peut servir les populations francophones en Louisiane parce que ce qui est vraiment un manque en Louisiane de nos jours, c'est une sorte de visibilité pour ces cultures. Et on peut parler un peu plus de l'histoire, ces cultures ont été un peu effacées au sein du XXᵉ siècle. Mais il y avait un manque de visibilité que même il y a beaucoup de Louisianais, même aujourd'hui, qui ne sont pas au courant qu'il y a ces communautés francophones qui existent et aussi sa diversité et aussi un manque de capacité, même s'il y a des organisations qui existent, qui soutiennent ces populations à plus grande échelle. Il y a beaucoup de gens qui soit utilisent le français, apprennent le français, vivent en français, mais il y a pas vraiment de ressources pour les accompagner, pour créer des associations, pour créer des entreprises. Donc quand on était encore à Paris à ce moment là, pour l'adhésion de la Louisiane à l'OIF, il y avait tout ce modèle à Paris, ce que j'ai adoré, c'était les instituts culturels comme l'Institut suédois, l'Institut finlandais qui existaient et que même il n'y a pas 1 million de Parisiens qui sont en train d'apprendre le finnois par exemple. Mais quand même, ils ont créé un espace dans le centre, le coeur de Paris attirant tout le monde qui voulait être dans cet institut parce qu'il y avait des concerts, des expos et ça a vraiment crée un intérêt pour la culture. Et donc c'est là la base, c'est le modèle pour la fondation Nous, on a créé la fondation en 2020, donc pas très bien pour le Covid j'avoue, mais on a quand même pris la décision de retourner en Louisiane et on a eu vraiment de la chance. Donc on décline nos actions parmi trois axes d'action principaux. On est un centre culturel, donc on a un bel espace dans la historic BK House and Gardens qui est une ancienne maison, une grande maison dans le quartier français qui va bientôt fêter ses 200 ans. Et on est basé dans cette maison, on fait des concerts, des expos, des ateliers, cours de langue, tout ce qui est pour animer la culture par des actions très visibles. On est aussi un studio créatif, donc on crée nos expos. Donc on a récemment créé une expo « Haïti-Louisiane, les Marais de la liberté », qui a mis en perspective l'impact de la révolution haïtienne sur Haïti et la Louisiane. Et aussi comme un projet en cours, donc on a travaillé avec des artistes haïtiens, louisianais et cette expo a commencé à la Nouvelle-Orléans et ensuite est allée aux Nations Unies. Donc, quand on parlait de visibilité, c'est exceptionnel pour la Louisiane d'avoir ce genre de visibilité. Et le troisième axe, ce qu'on fait c'est vraiment des programmes à plus grande échelle. Ce qu'on essaie de faire en fait, c'est de lever des fonds afin qu'on puisse redistribuer ces fonds en Louisiane pour les entrepreneurs francophones et créolophones et aussi pour les chercheurs. Donc on a un programme avec Fulbright France pour faire venir des chercheurs français en Louisiane, justement pour créer vraiment plus de recherche entre les chercheurs louisianais et français et on souhaite agrandir ces programmes pour le Canada et d'autres endroits. On envoie des enseignants louisianais dans les programmes d'immersion, pour le moment à CAVILAM, à Vichy, en France et ensuite grandir ce programme pour aller à l'Université Sainte-Anne ou d'autres endroits dans le monde francophone. Et le dernier programme et après je vais arrêter là, c'est un programme d'entrepreneur qui s'appelle Le Lab. C'est un accélérateur où on soutient des entrepreneurs francophones et créolophones pour lancer leurs propres entreprises et associations. Donc comme vous voyez, c'est pas mal d'actions différentes. Il y a tout un ancrage de cette histoire avec l'OIF, mais on a vraiment la chance d'être ici et je pense on verra où ça va nous amener. Mais je pense que pour le moment on peut dire toute la mission, ça a l'air de passer bien. 

Amal [00:17:17] Oui, donc ça c'est vraiment formidable. C'est grâce à vous et à Rudy en fait que la Louisiane fait partie de l'Organisation Internationale de la Francophonie. Bravo! Et c'est grâce à vous également, toujours vous et Rudy que la francophonie en Louisiane est en train de s'épanouir, entre autres, par l'entremise de toutes les activités de la Fondation Nous. Et donc, dans le cadre toujours des activités de votre fondation, vous avez fait produire un film, n'est-ce pas, qui s'intitule Les voix du renouveau. Parlez-nous en, s'il vous plaît! 

Scott [00:18:10] Oui, carrément. Donc c'est assez intéressant. J'avoue que quand on a lancé la Fondation, je n'avais pas en tête d'être réalisateur de films, mais apparemment... Et ce qui est bien, il y a un besoin en fait. Donc, la Louisiane, pendant plusieurs années, a vraiment essayé de créer l'industrie du film. Donc, il y a beaucoup d'acteurs, d'actrices, des techniciens sur le tournage qui sont en Louisiane et qui sont francophones ou créolophones. Donc, ça, c'est intéressant qu'il y ait déjà cette industrie en Louisiane et beaucoup parmi eux sont francophones ou intéressés par la culture. Donc, c'est un peu là d'où vient... cette idée est venue à l'esprit de commencer à créer des films et des documentaires en français et en créole. Donc Les voix du renouveau, en anglais c'est Voices of Renewal, c'est un film en anglais et en créole louisianais. Donc c'est assez intéressant. On voulait interviewer des militants pour la langue créole louisianaise parce qu'on parle beaucoup de français en Louisiane, ce qui est important bien sûr, mais il y a aussi une langue créole qui existe depuis le XVIIIᵉ siècle, qui est bien parlée à travers l'État jusqu'au milieu du XXᵉ siècle et malheureusement pendant l'ère de Jim Crow, donc le système de ségrégation sur la base de la couleur de peau, c'était une période où la loi a interdit ces langues en fait, qui a interdit le créole, qui avait beaucoup, beaucoup de pression sociale et d'interdiction de la langue créole dans les espaces publics. Et ce qu'on voulait faire, via ce documentaire, c'est mettre la lumière sur les activistes et militants de nos jours qui existent, qui essaient de promouvoir la langue créole mais de manière très différente en fait. Ce ne sont pas juste des gens qui enseignent les cours de langue, il y a certains qui le font dans le documentaire, mais pour donner un exemple, il y a Givonna Joseph qui a créé une compagnie d'opéra qui s'appelle Opéra Créole et leur mission, c'est aller dans les archives du XIXᵉ siècle parce qu'après la guerre de Sécession en Louisiane, qui était en 1860 jusqu'à 1865, il y avait un mouvement après la guerre où il y avait des afro-descendants francophones qui ont influencé, qui ont vraiment fait le passage de beaucoup de lois vers l'égalité sur la base... vraiment influencés par la révolution haïtienne et française. Et ce qui est assez intéressant, c'est pendant ce moment-là, c'est dur à imaginer de nos jours, mais le gouvernement louisianais a créé des opéras pour soutenir l'égalité. Donc des opéras en français pour soutenir l'égalité entre les gens afro-descendants et européens. Et malheureusement, après cette ère où il y avait la promotion d'égalité dans la loi et dans les écoles et même dans la culture, il y avait l'ère de Jim Crow. Ils ont interdit tout ça, ils voulaient absolument effacer tout cette histoire. Et malheureusement, on a perdu beaucoup de ces opéras, beaucoup de ces théâtres et Givonna Joseph est allée dans les archives. Elle a retrouvé ces opéras et dans les théâtres-opéras, ils reproduisent tous ces opéras. Donc on voulait mettre la lumière sur ces genres de militants comme Givonna, parce que ce sont des personnes qui sont assez connues à la Nouvelle-Orléans et vraiment qui font un travail extraordinaire pour justement promouvoir et maintenir ces langues. Et je pense qu'il y a aussi, on connait tous les deux, Tiffany Guillory Thomas, qui est militante à travers la Louisiane, qui promeut le français, le créole et c'était trop bien d'avoir cette perspective de Givonna, de Tiffany dans ce documentaire. Et je pense que c'est pour beaucoup de Louisianais un monde qu'ils ne connaissaient pas forcément. Il y a même en Louisiane beaucoup de méconceptions vis-à-vis de la créolité en fait. Il y a l'identité créole, il y a la langue créole, il y a beaucoup de... Malheureusement, avec la perte de cette culture, il y a beaucoup de mécompréhension de ce que ça veut dire et je pense qu'on voulait via ce documentaire, au-delà juste de parler de c'est quoi créole, on voulait montrer la créolité, montrer qu'il y a des militants et des activistes de nos jours qui sont en train de promouvoir la langue créole, qui s'identifient comme créoles, qui sont nos voisins. Et heureusement, ce documentaire a été diffusé par PBS, dans les festivals de films, donc c'était un grand succès. Et via Voices of Renewal, on a réussi à créer, je pense à ce stade, 6 films et documentaires donc pas tous sur la créolité ou en créole, mais en français, en créole, des narrations, des... Il y a vraiment des sujets différents et on a récemment eu l'opportunité d'aller au Festival de Cannes en France. Et c'est ça ce qui est bien et c'est un peu comme ce qu'on a fait avec l'expo, c'est bien de montrer que quand on promeut ces cultures minoritaires francophones, créolophones en Louisiane, mais évidemment des cultures d'héritage qui sont ancrées dans la culture et vraiment la base de cette culture en Louisiane. Et quand on investit dans ces cultures, qu'on en fait de la culture ancrée dans le XXIᵉ siècle, on peut arriver vraiment au sommet. On peut aller aux Nations Unies, on peut aller au Festival de Cannes et ça met dans une bonne lumière la Louisiane et malheureusement, en ce moment, la Louisiane souffre de plusieurs images pas toujours positives on va dire et c'est bien au moins via l'investissement dans ces cultures, on va donner une autre image de ces cultures. 

Amal [00:24:31] Formidable! Et merci également de nous rappeler du travail extraordinaire de Givonna et Tiffany parce que justement, c'est à travers elles, ces deux militantes, que j'ai pu en fait assister à un des opéras de l'Opéra Créole. Et oui, j'ai assisté à une conférence aussi, une conférence qui est faite par l'Association du créole en Louisiane. Et j'ai récemment assisté à la Journée de la culture créole à Lafayette. C'était au mois de juin,  je pense que vous n'avez pas pu y être à cause, bien sûr, de votre emploi qui est très chargé, emploi du temps. Et là j'ai visionné un film qui est en créole, qui traite du créole et que j'ai appris, qui a été subventionné et soutenu par la Fondation Nous. 

Scott [00:25:35] Ah, très bien, oui. C'est probablement Héritage. 

Amal [00:25:39] Oui, oui. Donc parlez-nous de ce film. Pourquoi est-ce que vous l'avez subventionné et appuyé? 

Scott [00:25:45] Oui. Donc il y a deux sœurs qui sont... en parlant de personnes extraordinaires, c'est Chasah et Charliese West et via notre programme Le Lab qui existe pour justement  soutenir ces entrepreneurs francophones et créolophones. Donc les West sisters, leur mère est de la Louisiane mais ces deux sœurs elles ont grandi en Afrique du Sud et je pense qu'elles étaient toujours en lien avec cette culture louisianaise, elles voulaient toujours explorer cette identité créole. Donc elles ont postulé pour le Lab, on les a acceptées au sein du programme. Et l'idée c'était de réaliser un film justement un peu en lien avec leur expérience, l'expérience de la mère, quelqu'un qui a un peu perdu la langue mais qui a quand même grandi autour d'une grande famille qui parlait encore créole. Donc la mère parle encore en partie créole, mais elle voulait transmettre ça à ses deux filles. Et l'idée de Héritage vient de ce projet et elles ont postulé pour le Lab, accepté et on a réussi à avoir un financement d'une fondation, We Are Familly Foundation qui est basée à New York. Et une fois qu'on a réussi à avoir ce financement, on a commencé à réaliser ce film avec les West sisters. Donc le film s'agit d'une ado qui s'intéresse pas du tout au français, ni au créole et sa mère a essayé de lui parler de comment c'était interdit quand elle était jeune et qu'elle a pas forcément eu accès à la langue et c'est important de poursuivre, de continuer et de l'apprendre cette langue. Et une sorte de magie, je ne vais pas parler de tout, mais ce qui est bien, il y a une sorte d'étudiant d'échange qui vient, mais c'est pas exactement un étudiant d'échange. Donc elle passe une journée en train d'apprendre le créole et c'est trop bien. Donc c'est encore un film,  c'était vraiment la vision des West sisters pour créer ce film. C'est un lien familial très fort et encore, c'était bien accueilli. Ça a fait sa première dans le festival du film francophone de la Nouvelle-Orléans. Cétait accepté, il y avait les West Sisters sur scène pour parler de leur film. Mais moi je suis juste bien content parce qu'après, c'est devenu une ressource pour la communauté. Donc il y avait le Creole Days à La Fayette où ils ont diffusé le film, ils ont fait beaucoup d'autres diffusions. Et donc je pense que c'est vraiment la vision des West sisters mais c'est exactement dans les missions ce qu'on souhaite avoir pour la fondation Nous, c'est soutenir les créatifs, de vraiment revivre à travers leurs créations une partie de leur expérience en tant que francophones ou créolophones. Et ce qui est vraiment génial, c'est que les West sisters via ce programme, ont réalisé leur film et elles ont rendu très visible ce film et après elles ont fondé leur propre entreprise qui réalise d'autres films. Donc on est en train de travailler aussi sur une comédie musicale avec elles en ce moment. Donc c'est très bien parce que vraiment ça montre que quand on investit dans un aspect de la culture, ça peut créer des entreprises, des emplois et juste avoir un impact très positif pour la communauté.  

Amal [00:29:23] Oui, très intriguant et en fait, la lecture du film, le film donc Héritage entre autres, c'est que ça encourage les jeunes à apprendre le créole et le français,  à parler les deux langues et aussi à promouvoir et tisser des liens avec la culture créole et francophone. Au sujet donc de parler, apprendre le créole, vous-même vous parlez en autres le créole, le français, l'anglais. Et vous avez appris le créole comme vous avez mentionné, juste comme ça parce que c'est là vraiment où vous avez grandi? 

Scott [00:30:06] Oui, donc j'ai une connexion avec le créole louisianais assez intéressante. Donc j'ai parlé un peu tout à l'heure, du côté de mon père, sa famille sont tous à la Nouvelle-Orléans, il y a 90 % des membres de ma famille dans l'agglomération de la Nouvelle-Orléans. Donc il y avait une partie de la famille qui est encore francophone. Donc c'est vraiment intéressant parce que j'imagine c'est de longue date, je sais que mon arrière-grand-père a appris l'anglais quand il est allé à l'université à la Nouvelle-Orléans. Et il y avait cette connexion via ma grand-mère avec le français, son frère qui parlait très bien le français et en fait qui était très impliqué à apprendre. Il y avait cette sorte de vague de revitalisation du français en Louisiane dans les années 60 et mon grand-oncle Robert Dupuy était bien impliqué. Donc il y avait, même quand je suis né, il y avait encore quelques membres de ma famille, surtout de la génération un peu plus âgée qui parlaient encore le français. Mais il y a beaucoup de francophilie au sein de la famille. Il y avait beaucoup de gens qui souhaitaient parler français, on va dire, qui souhaitaient interagir, qui pouvaient entendre, participer dans une conversation. Donc, j'ai parlé de ça tout à l'heure, mais le moment charnière de ma vie c'était un peu Katrina parce que avant ça, il y avait beaucoup de pression de... pas de ne pas parler français, mais c'était vraiment on va dire au deuxième plan, c'était pas la priorité. Je pense que c'était vu comme pas forcement américain de parler français et ça c'est une réplique qu'on entend souvent en Louisiane « Speak American », c'est un peu de parler anglais et ça identifie la langue anglaise avec l'identité américaine. Mais on peut être américain, états-unien et parler français, il y a aucune contradiction. Mais je pense que ça a pris une catastrophe comme Katrina de renforcer dans l'image... aussi dans l'esprit qu'il n'y a pas de contradiction et un peu des questions de si on est en train de tout perdre via cette catastrophe pourquoi perdre notre culture en plus? Et donc c'est après ça que j'ai commencé à parler plus en français avec mon père et un peu d'autres membres de ma famille. Et j'ai vraiment la chance d'avoir encore cette connexion à ce moment-là parce que j'ai montré un intérêt et ensuite il y avait quelques membres de ma famille qui pouvaient me parler en français et comme ça, je pouvais un peu parler plus. Pile à ce moment-là on a déménagé dans le quartier français, parce que notre maison a été détruite, donc on a déménagé en partie dans le quartier français pendant qu'on était en train de reconstruire notre maison dans un autre quartier. Et à ce moment-là, j'ai rencontré Albina S qui vient de l'île de Sainte-Lucie et donc elle parle le créole antillais et c'est important à noter parce que le créole louisianais c'est quand même différent du créole antillais et c'est une langue à part. Mais j'ai commencé à vraiment parler avec elle en créole antillais. Et donc il y avait ce moment quand j'étais en train d'apprendre le français, le créole et je pense que pour mes parents c'était assez drôle de voir tout à coup que j'essaie d'apprendre ces langues quand j'étais ado. Et aussi pendant ces moments, il y avait d'autres gens que j'ai rencontrés qui parlaient aussi le créole louisianais, donc j'ai eu moins de contacts à ce moment-là avec le créole louisianais mais j'ai une bonne base de créole saint-Lucien et du français pour éventuellement vraiment apprendre le créole louisianais. Donc même quand j'étais ado et à l'université, j'ai commencé de plus en plus à apprendre le créole louisianais. Donc c'est assez intéressant comme une langue c'est une sorte de cascade, on va dire, une langue peut ouvrir la porte pour une autre langue et je pense que malheureusement en Louisiane, parfois on voit soit on peut parler que français, que créole, ou soit anglais ou français mais il y a aucune règle qui existe pour dire qu'on ne peut pas parler plusieurs langues. 

Amal [00:34:18] Et vous prouvez ça justement. Et là vous venez de nous parler de votre père et la famille de votre père. Les mamans sont aussi importantes. Donc, où en est votre mère? 

Scott [00:34:33] Ma mère, j'adore. Ce qui est bien parce que ma mère m'encourage tellement... elle apprend le français actuellement, mais elle vient du sud du Texas, vraiment  vers la frontière avec le Mexique. Elle a grandi là-bas, elle a déménagé. Donc elle est médecin et neurologue et vraiment elle est une source d'inspiration pour moi pendant toute ma vie. Et ce que j'aime bien chez ma mère, elle a toujours une curiosité, elle s'arrête jamais d'apprendre quelque chose de nouveau. Et avec mon neveu et ma nièce, les enfants de mon frère qui sont dans une école d'immersion actuellement, elle a décidé de commencer à apprendre le français. Donc de vraiment se mettre dans les cours, d'apprendre le français. Donc c'est bien que même comme grand-mère, elle est en train d'apprendre le français afin qu'elle puisse parler avec ses petits enfants. 

Amal [00:35:31] Bravo! C'est vraiment formidable. Donc est-ce que votre mère et vous parlez l'espagnol? 

Scott [00:35:40] J'aimerais bien, mais elle n'a pas eu l'occasion d'apprendre l'espagnol. Quand j'étais à Sciences-Po, j'ai appris un peu l'espagnol, donc j'aimerais bien me lancer dans l'espagnol avec elle un jour. 

Amal [00:35:53] Donc comme ça, évidemment, donc la Fondation, bien sûr, entame beaucoup d'activités très importantes à travers la Louisiane. Donc, quel lien est-ce que vous arrivez à créer entre la Louisiane et donc le reste des États-Unis, et puis ailleurs dans le monde, y compris le Canada, bien sûr. 

Scott [00:36:19] Exactement, oui. Moi, je serai au Québec dans quelques semaines. Donc, on a plein de projets avec le Québec notamment. Mais oui donc, notre idée, on est une sorte de fonds néo-orléanais pour les cultures francophones. C'est vraiment l'idée de quelque chose, une institution basée ici en Louisiane et qui soutient des cultures francophones à travers le monde. Donc c'est vraiment notre focus en terme de géographie, c'est au sein des États-Unis parce qu'il y a plein de communautés minoritaires francophones et créolophones qui existent et qui ont besoin de ressources et qui ont un lien surtout... où on va vraiment focaliser nos actions parce qu'on commence en Louisiane et l'idée c'est de ne pas rester qu'en Louisiane. Mais vraiment, une de nos missions également, c'est de créer des ponts entre la Louisiane et le monde francophone. Donc la Louisiane fait désormais partie de la francophonie. On est présent à toutes les instances pour la francophonie, le sommet de la Francophonie et on a un contact privilégié avec ses 88 membres des pays qui font partie de cette organisation. Et donc à plus long terme ce qu'on veut c'est la Louisiane comme hub, comme pôle d'écoute de la francophonie dans les Amériques, également de vraiment être en conversation et soutien avec le Québec particulièrement. Je pense que ce serait trop bien. Mais on voit vraiment une opportunité pour la Louisiane, après 100 ans de discrimination contre ces cultures, on voit une opportunité clé surtout en ce moment où la Louisiane, malheureusement il y a une sorte de perte de population face aux problèmes avec le changement climatique, donc des problèmes qui sont très sévères et qu'on doit vraiment adresser prochainement. On voit en face de ces difficultés une opportunité d'investir dans la culture de sorte à adresser l'injustice qu'était un peu le Jim Crow et les lois pour démenteler également les cultures minoritaires francophones et créolophones. On voit une opportunité de réinvestir dans la culture, de créer des projets ambitieux et de faire venir un peu des artistes québécois, des artistes français, tous ces créatifs qui souhaitent venir en Louisiane comme ça. Il y a beaucoup plus de collaboration et beaucoup plus d'ambition en terme de créativité. Juste pour donner quelques exemples avec le Canada, on est en train de travailler avec une organisation qui s'appelle We Can et c'est une organisation qui promeut des artistes afro-descendants et on va créer une sorte de programme de résidence artistique en Louisiane prochainement avec eux. Donc ils sont venus en Louisiane, c'était un échange formidable et on a aussi créé des ateliers artistiques ouverts au public qui ont été un grand succès. Donc on voit qu'il y a même, il y a toutes ces opportunités, on travaille avec beaucoup d'organisations au Québec en ce moment. Et je pense que si on peut créer un pont directement entre le Québec, la Louisiane, à plus long terme, ça peut renforcer notre ambition d'avoir plus de francophones en Louisiane. Mais au-delà, on peut aussi montrer auprès des anglophones et d'autres communautés qu'il y a un avantage quand on investit dans une culture ou dans une langue, même si on parle pas cette langue chaque  jour. 

Amal [00:40:00] Donc des projets avec le Québec et inspirants ailleurs au Canada prochainement. 

Scott [00:40:07] Exactement. On commence à vraiment travailler avec les provinces maritimes comme le Nouveau-Brunswick. On commence à tisser des liens et on travaille également avec quelques associations en Ontario. Mais s'il y a des organisations qui souhaitent nous contacter, on est vraiment ouverts à collaborer parce que notre ambition également, c'est d'envoyer les Louisianais qui sont... les Louisianais, on est à peu près 150 000 francophones et créolophones de nos jours. Il y a beaucoup de... des millions de personnes qui ont des liens avec la langue, parce que peut-être c'est un grand-père, une grand-mère qui parlait français. Mais de nos jours, 150 000 francophones et créolophones. Et ce qu'on souhaite faire c'est juste montrer aux Louisianais, surtout les jeunes louisianais, qu'on n'est pas juste 150 000 entourés par 320 millions d'anglophones et aussi il y a d'autres communautés francophones à travers les Amériques. Et ce qu'on souhaite faire un jour, c'est envoyer les étudiants louisianais justement en Alberta, en Saskatchewan, en Ontario, où il y a la langue française qui est en position minoritaire, mais il y a quand même des services qui soutiennent ces communautés pour donner l'inspiration en Louisiane. C'est ça ce qu'on manque en Louisiane de nos jours, c'est tellement peu de services, on ne peut pas aller dans un hôpital et avoir accès à un soignant francophone. On ne peut pas avoir... il y a quasiment aucun service qui existe vraiment dans les sphères publiques sauf de plus en plus, il y a des écoles d'immersion, mais peut-être il y a vraiment des modèles et on peut prendre des notes d'autres provinces où il y au moins des services qui sont offerts pour des communautés francophones. 

Amal [00:41:52] Et justement, vous avez mentionné l'exposition sur Haïti de la Fondation Nous. Et ça aussi, c'est un lien fait avec la diaspora haïtienne et la diaspora antillaise de manière générale.

Scott [00:42:09] Exactement. Il y a un lien historique très important avec Haïti. Donc, c'est pas pour retourner dans l'histoire, mais après la révolution haïtienne, il y avait une énorme diaspora vers la Louisiane. Donc la raison pour laquelle la Nouvelle-Orléans en particulier est restée francophone quasiment tout au long du XIXᵉ siècle, c'est via cette vague d'immigration d'Haïti. Et il y avait certaines personnes qui ont renforcé le système d'esclavage en Louisiane, mais aussi des gens afro-descendants, qui sont venus d'Haïti, qui ont amené avec eux les idéaux de la révolution haïtienne, égalité, finir les systèmes d'esclavage. Donc avec beaucoup de littérature en Louisiane, beaucoup de pièces de théâtre, il y avait une inspiration de la révolution haïtienne. Donc c'était intéressant de faire une expo en lien avec Haïti, justement pour montrer que Haïti et Louisiane sont en lien, il y a un pont historique actuel qui existe entre ces deux endroits dont on ne parle quasiment jamais. Et c'était trop bien parce que de travailler avec les artistes haïtiens qui sont venus en Louisiane, qui ont rencontré des artistes louisianais et on s'est rendu compte en fait qu'il y a tellement d'aspects des deux cultures, que ce soit via la cuisine, via l'architecture, via le carnaval, il y a tous ces liens qui existent encore et qui étaient un peu montrés dans cette expo. Et c'était vraiment... et après ça, envoyer ces artistes aux Nations-Unies et je pense que c'était juste tellement exemplaire de ce genre de lien qu'on peut créer. Il y a un peu de perte de cette visibilité entre les liens historiques et actuels, entre deux endroits, on peut collaborer sur une expo, une expo avec des artistes et après envoyer cette expo aux Nations-Unies et donner cette opportunité afin que les artistes puissent collaborer sur d'autres projets. Je pense, c'est tellement emblématique de ce qui est capable quand on investit dans la culture. 

Amal [00:44:21] Oui, tout à fait. C'est vraiment beau. Donc vous avez fait venir des artistes d'Haïti?

Scott [00:44:28] Oui, il y avait plusieurs artistes de Haïti directement, comme Youseline Vital. Il y avait même, il a participé dans les séquences pour l'ouverture, Erol Josué qui est ethnologue d'Haïti. Et donc on est allés dans un endroit à la Nouvelle-Orléans, dans les alentours de la Nouvelle-Orléans qui s'appelle la plantation Destrehan. Et c'est important dans l'histoire parce que, en 1811, il y avait un soulèvement, une tentative d'une révolution haïtienne en Louisiane, inspirée sur ce qui est arrivé en Haïti. Malheureusement, ça ne s'est pas produit. Il y avait cette répression brutale contre ces gens qui souhaitaient prendre la liberté. Mais ce qui était intéressant, c'est Erol et tous les artistes et beaucoup de représentants en lien avec l'expo, on est allés à Destrehan plantation et il a fait une cérémonie pour honorer ces morts, ces gens qui étaient tués pendant ce soulèvement. Donc je pense qu'il y avait ce lien historique et c'était bien d'avoir quelqu'un comme Erol qui est venu d'Haïti justement pour commémorer, parce que ça montre que justement, la révolution haïtienne, c'est quelque chose d'universel et que la Louisiane voulait pas en parler de cette histoire pendant 200 ans. C'était vraiment presque perdu pendant 200 ans et ils ont effacé dans les archives toute référence à ce soulèvement. Et c'était bien que via le travail d'autres chercheurs d'aller dans cet endroit, commémorer et aussi de commémorer avec quelqu'un qui est si bien regardé en Haïti pour justement honorer ces personnes. 

Amal [00:46:20] Merci beaucoup. Vraiment formidable et donc quels sont vos plans et souhaits d'avenir? 

Scott [00:46:27] Actuellement, au travail c'est un super projet. On a changé un peu de direction mais on travaille sur une sorte de projet sur la musique louisianaise. Et ce qu'on veut voir en fait, c'est il y a tous ces musiciens comme Leyla McCalla, Louis Michot qui chantent en français et en créole. Mais il y a la question du public en Louisiane qui parle de moins en moins le français et le créole, ça c'est juste une réalité. Donc comment ces musiciens, musiciennes qui gagnent des prix Grammy pour la qualité de leur musique, comment ils adaptent ou comment ils rendent accessible leur musique aux nouvelles générations. Donc on fait un projet de documentation de ces musiques avec la Bibliothèque du congrès, le Library Congress américain et ce qu'on va faire c'est faire un album avec six groupes. Donc il y a six groupes différents. Donc il y a Leyla McCalla qui a un lien très fort avec la diaspora haïtienne. Il y a Louis Michot qui est très connu, il y a Lost Bayou Ramblers, la musique louisianaise comme on l'imagine, c'est vraiment influencé cajun, musique française à la Louisiane. Il y a Bruce Sunpie Barnes qui chante en créole, c'est un peu plus style Zydeco. Il y a the Baby Dolls qui est une tradition en lien avec le Mardi gras et elles chantent en créole. Il y a  Sweet Crude qui est indie rock mais qui chante aussi en français, qui est complètement différent. Il y a aussi qui est un orchestre d'afro-descendants, qui réinterprète la musique de Kongo Square, qui a un lien très historique, en lien avec la diaspora africaine à La Nouvelle-Orléans. Donc six groupes assez différents mais qui chantent en français et créole et on veut montrer à la fois la diversité de la musique louisianaise, aussi la diversité des musiciens, musiciennes parce que malheureusement, historiquement, on n'a pas vraiment parlé des afro-descendants, ou il y avait moins de visibilité pour les afro-descendants, surtout quand on fait des albums pour les archives, pour les archiver. Et ce qu'on va faire, c'est faire cet album, faire une publication et ça va aller dans les archives permanentes de la bibliothèque du Congrès. Mais en plus de ça, on va aussi faire une expo et on va vendre un album pour soutenir des programmes de musique dans les écoles, comme ça on peut continuer à soutenir la prochaine génération. Et c'est tellement important parce que de nos jours, pour avoir accès à la langue française et créole, il y a assez peu de gens en fait qui vont retourner chez eux pour parler français et créole. Ça, c'est juste une réalité. Mais il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens en Louisiane qui ont toujours accès à cette musique et quelqu'un qui va aller dans un bar, dans le quartier, qui va juste écouter Louis Michot un vendredi soir, ils peuvent y avoir accès. Donc via cette expo, on veut montrer à travers la Louisiane que cette musique est autour de nous en fait, la langue française et la langue créole est autour de nous. Et il y a des endroits où on peut aller pour y accéder. Et je pense que, j'espère que via cet album, via cette expo, on va accomplir cette mission. 

Amal [00:49:58] Ça c'est vraiment fabuleux. Donc là, on voit une carte derrière toi, c'est la carte de la Nouvelle-Orléans? 

Scott [00:50:06] Ah oui, ça c'est en fait, ça c'est Paris.

Amal [00:50:09] Ah Bon! 

Scott [00:50:10] Oui, oui il y avait une... 

Amal [00:50:12] Ça ressemble à mon avis. 

Scott [00:50:15] Tout à fait. C'est vrai que, avec cette carte c'est ce que j'adore, ça date... de longue date. Il y avait une maison qui était à vendre à la Nouvelle-Orléans et on a cherché et en a retrouvé donc c'est un hommage à notre moment passé à Paris à l'époque. 

Amal [00:50:32] Ok oui, de très beaux moments. Et donc vous avez également là décrit un peu les locaux de la Fondation Nous, parce que j'ai eu l'occasion de les visiter et je les ai beaucoup profités, je trouve très intéressant du point de vue, comme tu as dit, de l'architecture mais également de la culture, de l'histoire culturelle, l'histoire historique. Il y avait une exposition, une de vos expositions à l'époque. Je pense que ça traitait de justement la francophonie, l'historique et l'aspect contemporain de la francophonie en Louisiane. Et c'est presque dans un musée, n'est-ce pas? 

Scott [00:51:16] Exactement. 

Amal [00:51:18] Le bâtiment où ça se trouve, que j'ai fait également. Oui, oui. 

Scott [00:51:21] Oui, exactement, ça s'appelle the Historic BK House & Gardens. C'est un musée dédié aux différentes cultures du quartier français. Donc c'est... On a cherché les locaux à l'époque et on a vraiment eu de la chance parce que ce musée souhaitait dédier un peu plus de leur collection, de leur programmation à la culture créole de la Nouvelle-Orléans et en parler un peu plus. Donc c'était vraiment une sorte de synergie, une sorte de collaboration qu'on pouvait monter en place. Donc on a vraiment eu de la chance. Donc c'est une magnifique maison, ça va fêter ses 200 ans dans quatre ans.. dans deux ans en fait. Et en lien, c'est intéressant, avec l'expo Haïti par exemple, c'est le monsieur qui l'a construite ou qui l'a commissionnée c'était sa maison, c'était quelqu'un qui venait de Saint-Domingue à l'époque, de Haïti sous la domination française. Et donc, il y a l'architecture et tout le monde a remarqué quand il y avait des artistes et des représentants d'Haïti, ils ont dit « ah, j'ai l'impression d'être à Cap haïtien ». C'est intéressant parce que c'est vraiment intéressant comme l'architecture est tellement similaire et c'est une observation à travers la Nouvelle-Orléans, toutes ces maisons qui ont vraiment un style caribéen parce que c'est une architecture issue des Caraïbes. 

Amal [00:52:45] Oui, il y a des expositions également et ainsi de suite. Donc le public on vous invite et encourage d'aller explorer les locaux également. Monsieur Scott Tilton, merci beaucoup de ce voyage, beau voyage à travers le temps, l'espace, les cultures, l'histoire de la société, la résistance et ainsi de suite. On a beaucoup apprécié. Merci beaucoup encore une fois. 

Scott [00:53:14] Merci encore. 

Joey [00:53:16] Vous avez aimé cet épisode? Faites-nous part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par courriel à crefo.oise@utoronto.ca