Les impactantes
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Numérique Vital : quand l'exclusion numérique prive de soins essentiels - Entretien avec Amandine Blondet de la CRESS AURA
Bertrand Viala, Responsable développement et stratégie d’Aneol, reçoit aujourd’hui, Amandine Blondet, Chargée d’Études Opportunités Sectorielles à la Chambre régionale de l'Économie Sociale et Solidaire Auvergne-Rhône-Alpes (CRESS AURA).
Amandine alerte sur une des conséquences dramatiques de l’éloignement du numérique : les restrictions d’accès aux soins médicaux. Que ce soit par illectronisme, en raison de difficultés d’accès à du matériel informatique ou tout simplement en raison de la complexité de certaines plateformes, de nombreuses personnes ne peuvent exercer pleinement ce droit essentiel.
Amandine explique comment la CRESS et les associations peuvent agir pour contrer les effets de ce phénomène.
Bertrand Viala : Bonjour Amandine, je rappelle que tu es Chargée d’Études Opportunités Sectorielles à la CRESS Auvergne-Rhône-Alpes. Alors pour tout le monde, je rappelle la CRESS c’est la Chambre Régionale de l'Économie Sociale et Solidaire. Est-ce que tu peux nous rappeler, un peu, en quoi consiste ton rôle et évidemment plus généralement la mission de la CRESS.
Amandine Blondet : Oui, merci. Bonjour Bertrand. Alors la CRESS donc comme tu l'as dit, c'est la Chambre Régionale de l'Économie Sociale et Solidaire. Donc on est une association loi 1901 et en fait notre rôle, c'est d'accompagner, de fédérer, de représenter toutes les structures de l’ESS sur la région. On est vraiment une entité régionale. Et moi à la CRESS, donc je suis Chargée d’Études, je travaille sur différentes thématiques. Je travaille sur les achats responsables, sur la TEE donc la Transition Écologique et Énergétique et je travaille également sur les PTCE, donc une dynamique nationale et c'est moi qui suis la référente nationale. Et du coup, dans la TEE, je travaille plus précisément sur des thématiques très précises comme le numérique durable ou la mobilité durable.
Bertrand Viala : Autant de sujets qui sont effectivement de grande actualité, qu’ils deviennent chaque jour. Alors on a un point d'intérêt particulier aujourd'hui qui est celui de la santé. On l’a évoqué dans plusieurs endroits. Comment se pose la question de la santé et du numérique, en fait, actuellement d'après le point de vue que tu as qui est assez transverse avec la CRESS et quels sont les défis qui sont lancés parce qu'on a en tous en tête mais il y a quand même des points récurrents ?
Amandine Blondet : Oui. Alors c'est vrai que nous le côté santé, c'est du coup le côté social du numérique durable. Donc à la CRESS, on a d'abord commencé par traiter le côté environnemental du numérique et ensuite, on a traité le côté social. Et, très vite on a traité le côté social au niveau administratif et on s'est rendu compte que ça allait plus loin, qu'il y avait des vraies questions de santé aussi derrière. Et, ça se traduit par, en fait, des problèmes d'accessibilité pour les publics fragiles, à des démarches très simples comme prise de rendez-vous de médecin ou alors avoir accès à ces résultats en ligne quand on va faire une analyse au laboratoire. Ensuite, on reçoit par mail, sauf que si l’on n'a pas accès à ces mails et on ne peut pas avoir accès à ces analyses-là. Donc en fait, toute la dématérialisation qu'aujourd'hui on a, en fait, dans tous les domaines mais particulièrement dans la santé à travers les prises de rendez-vous, aller sur AMELI. Des questions qui sont, aujourd'hui, présentes pour tout le monde.
Bertrand Viala : Et du coup c'est un problème, en fait, général qui est celui de la dématérialisation qu'on retrouve pour l'accès aux droits sociaux par exemple, aux prestations sociales, l'accès également, on l’a vu récemment, dans les débats en France sur la question de la fiscalité aussi. Qu'est-ce qu'il y a de particulier dans la question de la santé qui en fait peut être un problème encore plus, comment dire, contraint que les autres thématiques que j'ai abordées ?
Amandine Blondet : Parce que, en fait, c'est un sujet qui est vraiment central, qui est au centre de la vie quotidienne de toutes ces personnes et de tout le monde et pas que les publics fragiles. Et c’est vrai que l’on pourrait se dire que la santé, voilà, ça va juste toucher la prise de rendez-vous chez le médecin. Mais non, ça peut toucher toutes les autres sphères. Et, j'ai notamment un exemple, en fait, à travers une des structures qui est adhérente chez nous qui est la structure Passerelles qui a mis en place des accompagnements pour les publics fragiles, qui les accompagnent à se former, à se sensibiliser autour du numérique durable, et avoir accès au numérique. Et en fait, ils ont un bus qui est présent dans certains QPV (Quartier Prioritaire de la politique de la Ville) de la ville de Villeurbanne. Et, ils sont confrontés à des jeunes, à des personnes moins jeunes, mais en tout cas à des publics fragiles qui n’arrivent pas à avoir accès à Internet et qui ont notamment des problématiques liées à la santé.
Et j'ai notamment l'exemple d'un jeune homme qui devait travailler en intérim pour une entreprise. Donc voilà, avoir une mission en intérim et en préalable pour cette mission là il fallait passer un entretien avec la médecine du travail. Donc la médecine du travail lui avait envoyé la demande d'entretien mais en ligne avec, du coup, totalement dématérialisée. Il n’avait rien reçu chez lui en papier. Donc il ne l'a pas reçu parce qu'il n’avait pas d'ordinateur, il n’avait pas d'accès internet et du coup, il n’a pas eu son intérim. Donc en fait, ça touche aussi d'autres sphères et la santé c'est un point de départ, mais en fait, qui touche vraiment toute la vie de ces gens-là.
Bertrand Viala : Alors on a cet accompagnement, mais alors quand on parle des publics fragiles, en fait leur fragilité, elle est essentiellement démographique. On pense éventuellement à l’âge, c'est une fragilité économique parce qu’il y a effectivement une question sur la question de la santé qui touche certains publics, qui ont une, comment dire, vulnérabilité au niveau physique, en tout cas physiologique. Est-ce qu'il y a un peut être une vision claire de qui sont ces publics en Auvergne-Rhône-Alpes ? Est-ce qu’il y a une répartition géographique particulière ou alors que c'est encore un petit peu en phase d'analyse ce genre de question ?
Amandine Blondet : Alors on a une idée quand même. Aujourd'hui les publics fragiles comme tu l'as dit c'est, du coup, les publics qui vont être plutôt seniors, les publics aussi qui vont être des publics qui habitent dans le milieu rural. Donc là il y a un problème vraiment plus territorial et donc milieu rural mais aussi les QPV, donc les quartiers prioritaires de la ville. Et là aussi on a aussi, du coup, des problématiques financières qui sont compliquées. Alors, moi je ne pourrais pas vous donner de chiffres aujourd'hui parce que je ne les ai pas. Mais voilà, on a certains de nos adhérents qui travaillent dessus, des associations qui travaillent à avoir cette donnée là parce que c'est une donnée qui est importante et qu'on a besoin d'avoir aussi pour avancer sur la région. Donc ça ce sont des données que l'on pourra présenter d'ici quelques temps mais qui aujourd'hui ne sont pas encore prêtes.
Bertrand Viala : Oui, je pense qu'elles sont nécessaires également pour les pouvoirs publics de façon un peu à mesurer l'ampleur du phénomène. Tu évoquais la question de la ruralité, par exemple, qui évidemment, au-delà de la fragilité des publics également. On en parle beaucoup, les déserts médicaux sur lesquels, effectivement, il y a une difficulté d'accès aux soins qui est matériel. Du coup, quel que soit, je dirais la fragilité physiologique ou économique des individus, c'est l'accès géographique en fait, aux soins.
Ça m'amène, du coup, un peu à essayer d'avoir une vision peut être un peu positive également du numérique et de la santé. Dans le cas des déserts médicaux, il y a certaines solutions numériques qui ont été proposées pour pouvoir créer de la télémédecine, de la télésanté, pour justement pallier un minimum à des défauts d'accès aux soins pour les personnes en ruralité. Comment, en fait, du point de vue de la CRESS se présente peut-être des objectifs en tout cas ou des perspectives positives qui permettraient de faire que le numérique ne soit pas uniquement qu'un frein, en fait, à la question de la santé parce qu’il y a également quelques bénéfices, comment ça peut se comprendre ?
Amandine Blondet : Oui, nous la CRESS, c'est le but. C'est vraiment aussi de repérer en fait la dynamique positive qui propose des solutions sur la région et on travaille, du coup, avec certaines structures qui mettent en place ça, qui ont vraiment à cœur de travailler avec l'humain, vraiment en premier plan. Et en fait, qui vont créer des collectifs qui vont permettre à des collectifs de seniors par exemple mais ça peut être d'autres collectifs de se former, travailler ensemble, de parrainer aussi parfois d'autres personnes qui pourraient avoir besoin de se former ou avoir besoin d'équipements.
J'ai notamment un exemple, dans l'Isère, une structure qui s'appelle Accord’âges, donc c'est un collectif de seniors qui travaillent ensemble et qui s’aident à faire les différentes démarches qui se prêtent, voilà, des équipements informatiques. Et, ils vont même plus loin, en fait, ils ont à cœur de sensibiliser tout le monde, pas que les seniors. Ils réalisent, du coup, des courts-métrages sur le sujet. Donc le sujet global, c'est le numérique, mais à travers voilà différents angles, ça peut être le numérique lié à la santé, mais ça peut être le numérique aussi lié à la famille. Comment est-ce qu'on reste en contact avec sa famille, avec ses petits-enfants par exemple quand ils sont à l'autre bout du pays, à l'autre bout du monde ? Toutes ces petites choses qui font que, en fait, le numérique des fois ça peut être compliqué pour les personnes qui ne l'ont pas dans la vie quotidienne. Voilà pas forcément des exemples qui n’arrivent pas tous les jours, mais des exemples vraiment de la vie quotidienne et qui ont à cœur aussi de démystifier un petit peu le numérique pour ces publics fragiles.
Et je pense que le second angle aussi, c'est d'accompagner les services publics. Il y a un vrai besoin et ça nous à la CRESS c’est quelque chose que l'on peut être amené à faire sur d'autres thématiques, mais sur le numérique également, c'est accompagner les services publics. Eux, ils mettent en place aussi des solutions, qu'ils les partagent, qu'ils valorisent et qu'ils aillent aussi vers ces publics fragiles qui ont besoin aujourd'hui d'aide à ce niveau-là.
Bertrand Viala : Donc en fait le rôle de la CRESS, en fait, dans ce cadre-là, tel que tu le décris sur la question de la santé en particulier, c’est pour permettre en fait la diffusion de ce numérique, en tout cas son accessibilité d'encourager en fait les logiques de politiques territoriales, donc de cibler en fait d'aider les pouvoirs publics à cibler là où les besoins se font ressentir. Et le deuxième, effectivement, c'est de favoriser la création de communautés d'entraide alors qu'elles soient sous format associatif, de collectif ou autre, de façon à permettre en fait à ces publics-là de pouvoir apprivoiser le numérique, en fait, c’est un petit peu ça dans la partie santé.
J’aimerai revenir sur le collectif dont tu parlais, qui est tout à fait intéressant. Est-ce qu’il y a d'autres exemples que ceux que tu as cités en Auvergne-Rhône-Alpes ou en France, c'est une dynamique sociale d'intérêt parce que ces personnes dites « publics fragiles », qui elles prennent un peu leur destin en main sur ces questions-là. Est-ce que c'est un exemple récurrent ? Est-ce qu'il y a d'autres ou est-ce que c'est vraiment innovant en termes de logique territoriale à ta connaissance ?
Amandine Blondet : Alors sur le territoire de l'Isère, c'est quelque chose qui est assez innovant, ce n’est pas quelque chose qui existe autre que cette structure-là. Après, je suis sûre qu'il y a d'autres territoires aussi ruraux qui mettent en place des petites associations mais dont, en fait, on ne connaît pas mais qui sont vraiment des associations d'entraide. Et ça voilà enfin aussi parfois qu’ils ne savent pas qu'ils font partie aussi du champ de l'ESS, donc aussi voilà, c'est une autre question. Mais il y a d'autres associations, je pense notamment sur la Drôme. Il y a pas mal d'associations dans le numérique qui sont présentes et qui travaillent avec le département de la Drôme à mettre en place beaucoup de choses, beaucoup d'actions de formations, d'actions de sensibilisation. En fait, ils vont vraiment chercher les personnes qui en ont besoin et c'est eux qui rentrent en contact avec eux et ce ne sont pas les personnes fragiles qui ont besoin de faire la démarche qui parfois est compliquée et longue. C'est vraiment là les associations qui vont vers elles. Ça se développe de plus en plus et nous, on a à cœur, du coup, aussi de les promouvoir et d’aller aussi les chercher, les fédérer et puis faire en sorte qu'ils arrivent à mieux communiquer sur ce qu'ils font et à mieux valoriser aussi tout leur travail.
Bertrand Viala : On a toute une chaîne de valeur humaine, en fait, qui est en train de faire une mise en place autour de la problématique. Puisqu'on parle également un peu de santé au-delà de la technologie, au-delà de la question administrative. Est-ce que par exemple, ces choses sont envisagées ou est-ce qu'il y a des projets qui incluraient éventuellement des médecins ou des structures médicales et médico-sociales, dont un peu le type de projet que tu mentionnais, notamment ces collectifs de seniors qui ce que j'ai bien compris, travaillent principalement sur la question de l'accessibilité numérique ? Mais est-ce qu’il y a des initiatives ou peut-être des choses qui sont encouragées ou qui pourraient l'être pour inclure justement des structures médicales ou des personnels médicaux dans cet apprivoisement, finalement de l'interface numérique pour la santé ?
Amandine Blondet : Alors aujourd'hui, non. Enfin, en tout cas pas à ma connaissance mais je pense que c'est un point de vue très intéressant en fait, de ramener aussi ce côté-là santé et le personnel soignant qui finalement sont les premiers aussi interfaces. Donc ça pourrait être très intéressant. Je pense que ça peut être amené à se développer, alors après il y a quand même des projets et ça me fait penser à un projet qui est sur Saint-Étienne qui s'appelle Danaecare Lab qui est un tiers-lieu, mais là qui est plutôt pour les aidants donc en fait c'est un tiers-lieu pour les aidants et avec aussi le personnel soignant. Donc en fait, ils ont des réunions, ils travaillent ensemble et ils travaillent sur des projets ensemble. Donc on n'est pas sur la dimension numérique mais on est quand même sur une dimension santé et du coup ils ont à cœur de mettre autour de la table, en fait, toutes les différentes parties prenantes qui aujourd'hui est vraiment pas fait et ça c'est super intéressant. C'est une super initiative de aussi rajouter à la table à la fois les aidants, à la fois les patients et aussi le médical, enfin le personnel soignant.
Bertrand Viala : Donc cette chaîne est en train de se constituer avec différents niveaux d'intervention en spécialité. Parce qu'on parle de chaîne justement, selon toi puisque nous sommes également nous-mêmes un peu dans le numérique chez ANEOL quel serait le rôle d'une société numérique, d’une ESN un peu comme nous autres acteurs du numérique dans ces questionnements sur la partie santé et publics fragiles ?
Amandine Blondet : Je pense qu'il y a un vrai travail aussi à faire avec les associations qui proposent ça, peut être travailler en lien avec ces associations, apporter de la matière peut être apporter de la formation, apporter peut-être des équipements, après ça dépend aussi des structures. Travailler aussi avec les pouvoirs publics parce qu’à différents échelons, les pouvoirs publics ont besoin de travailler avec les associations qui sont directement en lien avec ces personnes-là. Et, aussi besoin de travailler avec des professionnels du numérique aussi pour mettre en place toutes les formations, tous les process de sensibilisation. Et, je pense qu'il y a une place vraiment pour tout le monde à un échelon différent. Et que les structures comme la vôtre peuvent apporter beaucoup et vous êtes déjà en plus dans ce process là de commencer à apporter et de travailler avec les structures, les associations mais aussi les personnes qui en ont besoin. Et je pense qu'il faut continuer comme ça.
Bertrand Viala : C’est un appel en fait à l'ensemble des acteurs impliqués pour pouvoir un peu trouver des solutions, sachant qu'il y a déjà des chaînes de valeur qui ont été, en fait, mises en place et sur lesquelles il faut construire en fait la suite. Alors sur ces paroles pleines d'espoir, Amandine est-ce tu aurais un mot d'inspiration ou quelque chose qui permettrait à nos auditeurs et à nos auditrices simplement de continuer sur cette voie, cet éclairage que tu as donné aujourd'hui ?
Amandine Blondet : Moi, c'est quelque chose, le côté santé, le côté accompagner les publics fragiles, c'est quelque chose qui me tient à cœur parce que je me dis et je pense que tout le monde peut se le dire, que ça peut être moi demain en fait, qui ai besoin d'aide. Ça peut être un membre de notre famille, ça peut être vraiment quelqu'un de très proche. Et, que l'on a toujours l'impression que ça arrive aux autres et pas à nous, mais en fait, demain ça peut arriver vraiment à n'importe qui, donc il faut mettre en place ces process, il faut mettre en place ces formations, ces sensibilisations, parce que demain ça peut être toi.
Bertrand Viala : Oui, ça peut être nous tous effectivement, et tous ceux qui nous écoutent. En tout cas, je crois que cette prise de conscience est nécessaire. Merci beaucoup Amandine. Et puis donc, à très bientôt pour aider toutes les personnes qui en ont besoin.
Amandine Blondet : Merci Bertrand. Exactement merci beaucoup.